« Je pensais que dans la vie, il fallait toujours aller contre le courant, aussi fort soit-il. Mais vivre en se laissant porter, ce n'est pas si bête que ça. Si ça permet d'avancer »

Collé à mon bureau j'étais en train de bûcher les dernières choses que j'avais appris en cours. Je zigzaguais entre les nombres d'une facilité déconcertante sans me rendre compte du temps qui passait. C'est alors que mon téléphone se mit à vibrer avant qu'une sonnerie ne se lance, reconnaissant les premiers accords d'une chanson je savais déjà que c'était Harmony qui me sonnait. L'après midi était à peine entamée et je n'avais à vrai dire rien fait de ma journée. Assis à mon bureau vêtu d'un simple jean je mémorisais des informations aussi inintéressante que facile à étudier. Voyant un échappatoire à cet ennui que ma journée rasoir me provoquait je répondais au coup de téléphone. Il ne nous fallu pas très longtemps pour se décider d'un endroit où se voir, aujourd'hui c'était le Starbucks et j'avais encore une demi-heure pour me préparer. Sans me presser je rangeais mes bouquins sur mon bureau dans un ordre précis, encore une de mes manies, avant de rejoindre la salle de bain afin de dompter ma tignasse bien trop en désordre. Abandonnant le combat, j'enfilais un t-shirt déformer à col large blanc avant d'enfiler ma veste en cuir ainsi que ma sacoche à bandoulière et de me passer quelques breloques que je ne quittais jamais en sortant de chez moi. J'attrapais une clope et l'allumais tout en vérifiant que je n'avais pas oublier mon portefeuille, mon téléphone et tout ce qui pouvait m'être utile. Une fois le tout fait j'attrapais les clés de l'appartement afin de descendre et rejoindre notre point de rendez-vous.

Une fois dehors, comme à mon habitude, je fis le chemin à pieds. J'avais pourtant un véhicule, une superbe voiture noir pour être plus exacte, sauf que je n'appréciais pas ce genre de transport. Je préférais marcher en laissant mes pensées divaguer à des sujets que je n'aurais pas enfermé hermétiquement dans ma voiture. Mes mains enfoncée dans mes poches, je tirais sur ma clope sans remarquer les passants qui me frôlaient parfois. J'étais dans ma bulle, conscient de cette distance que j'imposais au monde et à moi même, me prélassant comme un enfant caché dans son lit. Je n'avais pas envie de crever cette bulle, pas envie d'affronter le monde. Alors j'avançais ignorant les personnes autour de moi, me concentrant plus facilement sur la géométrie des pavés qu'on avait, semble t'il, mal assemblé. Me rendant compte que si ça continuait j'allais avoir du retard, je forçais le pas traversant une ruelle pas si bien fréquenté conscient que ça me ferait économiser au minimum cinq minutes. J'arrivais au Starbucks en un temps record et je ne vis pas Harmony et sa tignasse d'un rouge reconnaissable entre mille. On m'appela à plusieurs reprise sans que je ne m'en rende compte avant qu'un client ne me tire par la manche pour me faire remarquer qu'une serveuse attendait de savoir si je voulais commander quelque chose. Faisant un pas dans la réalité je me rapprochais du comptoir commandant un grand frappucino avec crème sur le sommet. Mon visage exempt de sourire, ma barbe allongeant légèrement mes traits, je pu remarquer la façon dont la serveuse me regardait. Un peu mal à l'aise par ce regard appuyer qu'elle me jetait, j'allais à la caisse où je payais avant d'attendre mon gobelet comme les autres. Une fois le gobelet en main j'allais dans le fond du magasin pour m'installer dans un des fauteuils.

Attendant Harmony, je sortais un carnet de ma sacoche ainsi qu'un bic, m'enfonçant peu à peu dans les méandres de mon esprit je cherchais de nouveau accord pour une chanson que j'avais commencé à composer peu de temps avant. Mon bic glissait sur le papier sans que je n'y pense et des notes se dessinaient presque d'elle même sans que je n'ai à y songer véritablement. Les yeux perdu dans le vague, mon bic dessinant des formes incongrus dans les colonnes de mon carnet je ne remarquais pas que quelqu'un s'installait en face de moi. Relevant les yeux parce que j'avais perçu un mouvement, je remarquais enfin la jeune femme qui me faisait face. Un léger sourire s'inscrivit sur mes lèvres alors que je soufflais en rangeant mes affaires dans mon sac : « Salut, excuse j'étais un peu... ailleurs. » Comme bien souvent à la vérité, mais bon ça tout le monde ou presque le savait en ville, ce n'était pas nouveau. Attrapant mon frappucino je buvais une longue gorgée avant de passée une main dans mes cheveux m'affaissant un peu plus dans le fauteuil. « Comment vas tu ? Ça fait quand même quelques jours qu'on ne s'est pas parlé.

Ce matin, ou plutôt cet après-midi devrions nous dire si nous étions d'une précision mathématique, Harmony émergea doucement avec un seul mot à l'esprit : Week-end ! Pour certains, c'est synonyme de shopping, soirée trop arrosée ou encore cinéma en amoureux. La jeune fille étant seule, si cette pensée la réjouissait autant c'est parce qu'elle pourrait sortir, prendre l'air, ne plus travailler. Elle n'avait pas besoin de compagnie humaine ou animale pour cela, son appareil photo lui suffisait la plupart du temps. Elle garda pendant un temps les paupières fermées, cherchant à capter un peu de la chaleur provenant des raies de lumières passant entre ses volets, laissant son esprit vagabonder. Elle imaginait tous les petits recoins de la ville, imaginant quels clichés elle pourrait avoir. La semaine dernière, elle avait déjà passé en revue tout le quartier de l'amour, c'était beau, les amoureux sont toujours beaux. Troublant le fil de ses rêves, l'image d'un jeune homme apparut dans son esprit, c’était Halcyon. Il était beau lui aussi, mais à sa connaissance, il n'était pourtant pas amoureux. Sa tignasse de cheveux était vraiment impressionnante, elle se demandait bien comme il ferait si un jour il était amené à la peigner... Elle l'imagina au bras d’une jeune fille, souriant comme un idiot… Il serait tout pardonné, parce que c'est ça après tout l'amour, c’est être heureux parce qu’on est deux, peu importe les apparences, aux yeux de l'autre, on est toujours parfait. Elle divaguait, vraiment, elle ne s'était pourtant pas couché tard la veille... Se retournant d'un coup, elle enfonça son visage dans son oreiller. Elle détestait voir les gens en couple la semaine, mais il faut dire que c'est surement grâce aux photos qu'elle a pris de tourtereaux qu'elle a pu entrer dans cette université. Quand elle était seule, elle avait l'impression de ne pas être elle-même, qu’il lui manquait constamment quelque chose. Ce n'est bien sûr pas au niveau des besoins physiques qu'elle ressent ce manque, c'est plus mental, comme si elle ne pouvait pas donner tout l'amour qu'elle avait en elle. Elle se donnait à fond dans ses études pour compenser, mais c'était totalement différent, c'était son énergie qu'elle perdait dans l'histoire. Quoi qu'il en soit, elle n'avait pas envie de travailler aujourd'hui. Il fallait qu'elle se fasse belle, elle se leva donc et commença à se préparer. Une douche prise en cinq minutes chrono, vingt bonnes minutes pour trouver LA tenue qu'elle allait mettre et elle finit par une touche de maquillage et un coup de peigne. Elle admira le tout dans le miroir, fière du résultat.

Ce n'est que quand elle se rendit compte qu'elle avait fait tout cela pour rien, qu'elle commença à râler. Le but de ces actions avaient été de se faire belle, mais à quoi bon si c'était pour passer toute l'après-midi à développer des photos dans un chambre noire. Elle détestait l'inutile. Elle prit donc son téléphone et composa le numéro du beau jeune homme ayant occupé ses pensées un peu plus tôt, Halcyon. Heureusement pour elle, il n'avait rien de prévu. Direction Starbuck dans 30 minutes ! Elle profita de ce peu de temps pour enfiler deux sandwiches et un muffin au chocolat. Le café n'était pas tout près, il fallait qu'elle prenne sa voiture, au risque d'avoir trop de retard. Le problème est qu'en ville, un samedi après-midi, il y a foule dans les rues et pas de place pour se garer. Elle réussit tant bien que mal à abandonner son petit véhicule sur un trottoir, où il était d'ailleurs interdit de stationner, mais peu importe, elle avait déjà dû le faire suffisamment attendre.

Avec seulement quelques minutes de retard, elle poussa la porte du Starbuck est commanda un Caffè Latte parfum caramel, son préféré. En attendant que la serveuse le lui prépare, elle observa la salle. Ce n'était pas encore l'heure où tous les acheteurs venaient faire une pause, l'endroit était presque vide. Elle vit son ami assis au fond, dans un coin, seul. Il ne la voyait pas, trop concentré sur son carnet. Pendant plusieurs minutes elle le regarda, en oubliant presque sa commande. Quand celle-ci arriva enfin, elle se dirigea vers la table où il était assis. Il ne l'entendit même pas arriver, elle attendit donc patiemment qu'il relève la tête en silence, un grand sourire aux lèvres. "C'est pas grave, tu peux laisser tes affaires sorties aussi, je sais être très discrète si tu veux continuer à écrire !" A vrai dire, c'était plutôt la curiosité qui l'avait poussé à lui dire cela, elle voulait bien le laisser travailler, oui, mais elle voulait surtout savoir ce qui l'absorbait autant. Elle ne l'avait jamais vu écrire. Harmony posa son café sur la table, regardant toujours le jeune homme. "Moi ça va bien ! Un peu fatiguée, me demande même pas pourquoi mais à part ça... ça va. Et toi?" Elle appuya un de ses coudes sur le rebord de la table et tourna son regard du côté de la vitre, regardant les passants.

Installé au Starbucks, j'attendais premièrement Harmony avant de me laisser porter par mes pensées. Dans ma tête quelques notes se faisaient symphonie et je n'arrivais pas à lutter contre cette vague qui m'emportait loin de la réalité. Loin de mon gobelet, loin de l'endroit où je me trouvais. Loin, mais heureusement pas encore hors de porté. Je notais des choses, mes notes devenant de vulgaire dessin et croquis de je ne savais pas trop bien quoi. Mais c'était tout moi ça, je me laissais prendre par le fil de mes pensées me retrouvant en laisse et incapable de les quitter. Heureusement pour moi Harmony arriva, cependant je ne savais pas depuis combien de temps elle était là à me fixer. Dans ces moments là, prit sur le fait alors que je me retrouvais la tête dans les étoiles je me sentais toujours un peu gêner. Comme si, pudiquement, je devais cacher ce que ces moments là m'offraient. A croire que j'avais peur qu'on me les vole, qu'en voyant ce qu'il en ressortait j'allais perdre ces illuminations, douce illusions d'une inspiration qui venait et disparaissait comme ça. Sans que je ne comprenne comment ni pourquoi. Lorsque j'eu relevé la tête vers la belle je lui offrais un léger sourire qui semblait être tomber paresseusement sur mes lèvres. Comme s'il était tombé sur mes lèvres alors que j'étais endormi. J'hochais négativement la tête alors qu'elle me disait que je pouvais continuer à écrire si je le voulais. Mon sac et mon carnet à la main je réfléchissais quelques instants avant de passer outre ma pudeur première. « Ce n'est rien de très intéressant, une partition et beaucoup de dessins sans queue ni tête. » J'ouvrais alors mon carnet relier en cuir avant de le déposer sur la table montrant une partition que j'avais dessiné à la main et que j'avais commencé à remplir. Rien de bien intéressant lorsqu'on ne connaissait pas la musique, ou qu'on arrivait pas à visualiser de soit même les sons.

Préférant enchaîner la conversation sur quelque chose d'autre je lui demandais comment elle allait parce que nous ne nous étions pas croiser depuis plusieurs jours. Bien entendu nous avions à suivre nos cours, cependant je commençais à appréhender plutôt bien sa personnalité. Je l'imaginais plus à l'extérieure derrière son appareille photo que clouer chez elle à bûcher sur des choses qui ne lui serviraient peut-être à rien. Contrairement à moi qui aimais me plonger dans les nombres comme pour en ressortir quoique ce soit qui pourrait m'aider à faire mon chemin dans la vie. Un sentier battu où je n'aurai aucun mal à me mouvoir, sauf que rien ne se passe comme on le prévoit même si dans les chiffres tout se passe comme prévu. Je l'écoutais avec le plus d'attention que je pouvais déployer conservant toujours une part de mon esprit dans les nuages. Amusé par ce qu'elle venait de dire je ne pu m'empêcher de dire comme un petit garçon un peu déçu de ne pas avoir droit à des réponses clair : « Mais tu me donnes envie de savoir pourquoi tu es fatigué à ne pas vouloir le dire !»

Je la fixais alors qu'elle détournait les yeux absorbé dorénavant dans la contemplation des passants qui courraient tous à leur vie. Chassant des buts qu'ils n'atteindraient pour la plupart pas. Portant à mon tour mon regard sur la fenêtre je ne m'y attardais pas conscient que c'était un autre moyen de me perdre dans mes pensées. Alors, je comblais le silence reprenant sa question afin d'y répondre. « Je vais plutôt bien, enfin tu as réussis à m'arracher à une après midi d'étude. » Je devais paraître bien ennuyeux à dire cela, mais bon, c'était moi dans ma vérité entre mes études et le monde que je n'arrivais pas à habiter. Croisant les jambes, je rajoutais : « Je dois avouer que boire un truc en ta compagnie est quand même plus intéressant. » C'était un compliment même pas voilé, je n'avais fait qu'affirmer la vérité comme elle venait ne pensant pas à ce que l'autre pouvait pensé. J'étais peut-être un peu trop franc, mais on ne peut pas être fait que de qualités, puis à la réalité j'étais bourrés de défauts. Il n'empêchait que ça ne me gênait pas, les vérités étaient faite pour être dise et les mensonges pour être gardé. Bien que j'en utilisais moi aussi pour qu'on me fiche la paix et puis c'était bien utile parfois, je ne m'en cachais pas. Continuant à fixer Harmony, je jouais avec mon gobelet l'écoutant tranquillement.

Harmony se considérait un peu comme une artiste, enfin, comme une future artiste. Elle n'était pas encore photographe à plein temps, ne le serais d'ailleurs peut être jamais, mais être artiste, ce n'est pas forcément un métier, non? C'est avant tout une passion. Elle voyait les choses de cette manière et elle savait que Halcyon faisait parti de la même catégorie de personne. Son centre d’intérêt principal était différent du sien, mais c'est grâce à cela qu'ils s'étaient rencontrés. Il était musicien, ce n'était qu'une passion apparemment, mais il jouait plutôt bien. Si c'était une partition qu'il venait d'écrire, elle était contente de pouvoir la lire. Elle n'y comprendrait certainement rien, elle ne s'était jamais intéressée à ce genre de choses... Néanmoins, elle se pencha vers le carnet qu'il lui tendait et passa délicatement sa main dessous. Son nez était proche de la table de manière à ce qu'il ne voit presque plus son visage. Elle ne comprenait rien, mais le mélange de symbole donnait un air chouette à la page. Elle tenta de suivre des yeux les lignes, sans en avoir jamais lu, elle savait, enfin croyait savoir qu'il y avait des lignes et que cela se lisait comme un livre, avec une sorte d'autre alphabet. Déchiffrer une partition est totalement inutile quand on ne sait pas jouer d'un instrument, mais c'est tout de même une de ses créations et Harmony savait à quel point c'est dur de s'exposer parfois. Ce genre de sentiments, elle en avait déjà ressenti au début. Elle n'osait pas montrer ses photos à sa famille ou à ses amis, de peur qu'ils n'aiment pas, elle ne parlait pas des photos souvenirs qu'elle prenait pendant les vacances, le genre qui n'ont pas besoin d'une touche artistique pour être valable mais de celle qu'elle avait prises dans le but de rendre un paysage ou un objet beau. Elle ne pouvait pas l'expliquer réellement, mais elle sentait que c'était presque plus personnel que ses sentiments, en réalité, ça en été l'expression la plus sincère possible... "Tu dessines bien ! Pour le reste, faudrait que tu me le joue ou que tu chante l'air pour que je sache !" Elle releva doucement son visage vers lui, souriant sans se forcer, sincèrement.

Elle n'allait pas s'attarder plus longtemps sur ses dessins, elle ne pouvait pas comprendre. Elle referma doucement le carnet et le reposa sur la table, entre eux deux. Son café avait surement un peu refroidi et devait être à la température idéale. Le problème avec le café, c'est qu'il est toujours trop chaud au départ mais quand on attend qu'il refroidisse un peu pour le boire, il faudrait presque faire un cul sec pour éviter de devoir le boire froid. Si elle faisait cela maintenant, elle passerait certainement pour quelqu'un de pressé, ce qu'elle n'était pas et elle voulait faire durer ce moment avec Halcyon. "Bon ok... En fait, si je te le dis pas c'est que... Je dors trop, et ça me fatigue à mort, tu vois? Faudrait que je trouve quelqu'un qui veuille bien venir me réveiller ou alors, me faire sortir le soir !" Elle continuait toujours à siroter son café, rajouté du sucre, le touillant encore et encore... Elle détestait garder ses mains inoccupées, elle avait besoin de se distraire en bougeant et là, elle ne pouvait pas marcher. Son explication était un peu tordue, mais elle ne savait pas elle-même ce qui la fatiguée autant, elle ne bossait pas comme une dingue et ne faisait pas la fête tout les soirs, c'était dur de trouver une raison valable dans ce cas-là.

On ne peut pas dire qu'elle n'aimait pas parler d'elle, elle aimait déjà parler tout court et cela lui semblait être un sujet qu'elle était certaine de maîtriser. Ce n'est pas pour autant que les autres étaient sans intérêt, au contraire. Elle aimait beaucoup faire des connaissances mais certains n'aimaient pas la manie qu'elle avait de se mettre en avant, mais elle ne s'occupait pas de ce qu'en pensant ces personnes-là. Elle savait qu'Halcyon était un élève studieux mais pas au point de passer une après-midi à réviser, tout seul dans son coin. Elle n'avait aucun regret de l'avoir appelé mais elle lui demanda tout de même : "Oh... J'espère que ce n'est pas un problème au moins? Tu n'es pas trop déçu de rater ça, non?" Elle n'attendait pas vraiment de réponse à cette question, souriant au compliment que le jeune homme venait de lui adresser, elle adorait qu'on la flatte et plongea son regard dans le sien, lâchant sa cuillère en plastique pour croiser les bras devant elle, sur la table. "Vraiment? Je savais bien que j'étais mieux qu'un vieux bouquin !" Elle laissa échapper un petit rire, elle ne voulait pas jouer les prétentieuse et puis elle ne savait même pas ce qu'il étudiait et si ses bouquins étaient réellement vieux. "Tu voulais bosser sur quoi?"

L'art n'est jamais mieux compris que par ceux qui le font. L'art ne se voit pas avec les yeux, mais bien avec le coeur, on écoute la musique avec les oreilles mais c'est le coeur qui se serre ou se décompose. On voit des tableaux, des photos avec les yeux, mais c'est au coeur que vient la vague de tristesse, que vient le vrai sourire qu'on ne peut cacher et qui nous fait nous ouvrir. Ceux qui sont dans l'art le comprennent, même si bien souvent ils se retrouvent incompris, entre eux ils le savent et même si l'autre ne comprends pas, il est quelque chose d'étrange avec l'art, on peut ne pas le comprendre mais l'admirer quand même. Je fixais Harmony penchée sur ma partition qui, par la barrière que formait ses cheveux, m'empêchait de la regarder et de trouver de quelconque réponse sur son visage. Lorsqu'elle se redressa enfin laissant mon carnet sur la table je pu la voir sourire avant qu'elle ne m'avoue qu'elle ne comprenait pas la partition mais que je dessinais plutôt bien. Amusé par sa réplique j'hochais la tête quant à sa proposition de chantonner la partition ou alors de la jouer. Je lui jouerai un jour sûrement, mais je ne risquais pas de me mettre à chantonner ici. Pas tant que ce n'était pas fini, pas tant que je n'étais pas sur que ça valait quelque chose. Voila une faille de l'artiste, des artistes en général, cette incertitude perpétuel qu'on éprouve face à son travail, on se retrouve incapable d'apprécier ce qu'on fait et on se remet toujours en cause. J'étais d'autant plus pudique que j'avais du mal à m'affirmer, oui je jouais sur scène, oui c'était ainsi que je l'avais rencontrée, mais dans ces moments là tout était différent. L'excitation se mélangeait à la peur et dans un cocktail mielleux d'adrénaline j'oubliais tout. Pas comme lorsque je jouais seul face à face avec quelqu'un, dans ces moments là seule la peur restait.

Je la regardais reprendre son café alors que je jouais avec mon frappucino. Elle me parla du fait qu'elle était fatigué m'assurant qu'elle ne m'expliquerait pas éveillant ma curiosité comme un enfant de dix ans à qui on refusait de dire ce qui se cachait derrière la porte après lui avoir interdit de l'ouvrir. La fixant je lui disais le fond de ma pensée sans la quitter du regard. Je ne pensais pas qu'elle m'expliquerait pas la raison de sa fatigue, pourtant elle le fit alors que me mordillant la lèvre inférieure j'y songeais. « Si tu veux sortir, tu n'as qu'à m'appeler, je suis rarement chez moi le soir... trop de chose à faire et pas assez de temps en une journée pour en profiter.» Mon sourire s'effaça à peine de mes yeux alors que j'espérais quand même qu'elle n'ai pas l'idée de m'appeler un de ces soirs pour voir ce que je faisais. Une fois en soirée je n'étais jamais fier de ce que je faisais. Je me laissais aspirer par les ténèbres et je devenais un autre, un verre encore un et encore et encore, à croire que je ne savais pas m'arrêter. Mon nez se transformait en aspirateur alors que ma bouche gobait n'importe quoi. Une fois que la lune s'élevait dans le ciel alors que le ciel était recouvert d'une couverture bleu nuit, je me retrouvais différent. A l'image des loup-garou à la pleine lune, il ne s'agissait que de folklore, mais dans mon cas c'était la vérité. Et tout en restant dans cette vérité, je préférais garder cette part de ma personne aussi secrète que possible, même si il m'arrivait de me faire traiter de goujat au réveil par des filles dont les visages restaient gravé dans ma mémoire ainsi que mes actes.

Heureusement pour moi la conversation continua sans heurt alors que j'expliquais que j'avais prévu une après midi à bûcher des livres sans grand intérêt et d'une facilité enfantine. Harmony avait l'art de m'amuser, voila qu'elle me demandait si je n'étais pas déçu de rater ça alors que je passais du temps en sa compagnie. Sans réfléchir outre mesure je lui disais de but en blanc que sa compagnie était plus plaisante que celle de mes bouquins. Pas besoin de se voiler la face, même si j'avais du mal avec le reste du monde, il était quelques personnes avec qui j'arrivais à me détendre et à profiter de l'instant, elle en faisait partie. Lorsque je l'entendis rire de sa propre remarque, mon sourire se marqua plus sur mes lèvres montrant la légère nuance qui restait entre moi et le commun des mortels. J'étais moins ouvert, moins apte à montrer ce que j'éprouvais, mais j'essayais. Elle me demanda alors ce sur quoi je voulais bosser. Passant une main dans mes cheveux un peu gêner je réfléchissais à quoi répondre. « Et bien j'étudie de la comptabilité à la fac... beaucoup trouvent ça ennuyeux mais j'aime me plonger dans les nombres. On va dire que j'ai le cerveau programmé pour ça.» J'aurai pu faire des études plus poussées, plus compliquées sur cette voie là, pourquoi pas faire des découvertes. Cependant la seule chose que je cherchais véritablement à faire c'était rendre mon père fier, ce dont j'étais incapable semble t'il. « Enfin, j'ai compris sans trop de difficulté que lorsqu'on était pas un fan de math, c'était plutôt barbant... Puis j'avoue que par moment je préfère m'attarder sur ma guitare que dans mes bouquins. Je suis rasoir, mais pas trop.» Attrapant mon gobelet, je buvais une autre gorgée sans quitter le sourire qui étirait mes lèvres.

Harmony n'était pas vraiment une fille du soir, les fêtes trop arrosées qui duraient jusqu'au matin, elle ne voulait plus en faire partie. Avant, elle sortait plus souvent, mais maintenant, elle n'en avait même plus l'envie. C'était inutile selon elle, elle préférait dormir la nuit ! Son invitation était néanmoins tentante, elle n'était jamais allée à une soirée avec lui et cela pourrait être amusant. Elle nota mentalement l'information, elle ne pouvait pas ignorer sa proposition, si elle ne l'appelait pas un soir ou l'autre, elle craignait qu'il ne pense qu'elle ne voulait pas sortir avec lui. Petit à petit, la salle se remplissait, beaucoup de gens ne restaient pas, il prenait un café et l'emportait avec eux, les autres, moins pressés s'installait majoritairement sur la terrasse du café. Le soleil brillait aujourd'hui, ils auraient pu en profiter pour faire de même. Absorbée par l'extérieur, elle ne tournait presque jamais les yeux vers lui, pas qu'elle évite de le faire, loin de là, mais elle n'était pas du genre à fixer les gens très longtemps. Il y avait toujours quelque chose à côté qui la distrayait. Elle restait tout de même attentive à la discussion, seul son regard était distrait. Elle buvait doucement son café en même temps, envisageant ce qu'elle allait faire pour le reste de son après-midi... S'il replongeait dans ses révisions, elle irait surement se balader en dehors de la ville.

Le sujet tournait maintenant autour de ses études, ce qui l'avait donc amené à penser à la suite de sa journée. Elle ne savait rien de ses études mis à part le fait qu'il était encore à la fac. Elle l'imaginait bien dans un truc cool, par exemple dans le design ou le son. Elle ne s'attendait surement pas à ce qu'il fasse de la comptabilité. Jamais elle n'avait douté du fait qu'il soit intelligent, ça, elle le savait... Mais elle ne le voyait pas faire ce genre de travail plus tard. Qu'il aime les maths, elle pouvait facilement y croire, il y avait beaucoup de monde capable de travailler avec les nombres, elle ne le voyait en revanche pas faire des calculs toute sa vie. " Ouah, je ne pensais pas que tu faisais ça, toi ! Et ce n'est pas que je te trouve idiot ou autre, je me doute bien que tu es doué, mais quand même..." Elle n'avait pas réfléchit avant de dire ça, elle ne voulait pas le vexé, s'il était réellement passionné par la voix qu'il avait choisi. Elle l'observa donc, scrutant sa réaction, elle ne savait pas vraiment lire sur le visage des gens ce qu'ils pensaient, elle espérait tout de même voir quelque chose se dessiner sur le sien. Quand elle était concentrée, elle ne souriait plus, comme si ses lèvres ne faisaient plus partie de son corps, elle les laissait tomber dans une moue étrange, concentrant tous ses pensées dans ses yeux. Elle n'avait pas une expression triste, son visage montré juste à quel point elle réfléchissait.

Il continua sur ce thème, il était compréhensif envers les personnes incapables de suivre un calcul trop complexe. Harmony était dans cette position, elle n'avait jamais été douée dans cette matière et à vrai dire, n'avait jamais cherché à faire le moindre effort. Heureusement, elle n'avait plus besoin de ça dans ses études, elle ne se servait plus que des bases : addition, soustraction, multiplication... Elle arrivait encore à résoudre des opérations simples, celles qu'on apprend en primaire. " Rasoir mais pas trop? Je ne te trouve pas "rasoir", moi. Enfin, ce n'est pas une raison pour me parler chiffres, à moins que tu n'es envie de me faire fuir !" Elle lui sourit doucement, attendant encore une fois sa réponse et finissant presque son café.

L’image que j’offrais de moi et ce que j’étais était véritablement différent. Quand je sortais je m’apparentais à un animal en cage qu’on lâchait, mais une fois éclairé par la lumière du soleil je me retrouvais différent. Comme un saint qui retrouve le droit chemin. Pourtant ce n’était qu’une image, je donnais l’air d’être épris de ma musique et pourtant je vendais mon âme en faisant de la compta. Je cherchais à ce que mon père porte les yeux sur moi mais ça n’arrivait pas, ça n’arrivera pas. Alors j’offrais deux images opposés, comme un miroir qu’on aurait brisé. Je ne renvoyais pas une image complète, mais deux images séparé. Je ne savais sincèrement pas ce que j’allais faire une fois que j’aurai fini la fac, me lancer vraiment dans ce genre de métier ? Nager jour après jour dans les nombres jusqu’à m’en retrouver noyer ? Je ne savais pas si j’allais véritablement faire ça, mais en attendant j’étudiais je verrai bien. Je me retrouvais à jouer avec mon gobelet comme pour le faire durer un peu plus. Voila qu’on se retrouvait à parler de mes études et je ne savais pas trop comment expliquer mon orientation. J’aimais les nombres, c’était vrai, j’avais ce petit truc en plus qui faisait que je les survolais sans aucun problème. Cependant, j’avais cet amour pour la musique. Ce besoin de jouer comme pour sortir les mélodies de ma tête, les arracher de mon coeur et ainsi être libéré. C’était pour cela que j’écrivais souvent, c’était cette musique au fond de moi qui me perdait sans que je ne comprends comment ni pourquoi.

Portant mon gobelet à mes lèvres je buvais quelques petites gorgées avant de me remettre à jouer avec celui-ci entre mes doigts souriant légèrement après sa remarque qui ne m’avait pas vexé. A vrai dire ça m’amusait, je passais une main sur ma joue grattant ma barbe naissante conscient qu’elle ne devait plus trop savoir où se mettre. Habituellement je me retrouvais à sa place, toujours trop franc ou trop incompréhensible. Me retrouver à la place de celui qui regarde l’autre se débattre pour ne pas se noyer me faisait bizarre. C’est pour cela que je ne lui laissais pas trop le temps de se ronger les sangs. « Dans les faits, j‘étudies ça pour mon père. Il bosse dans les affaires et un fils comptable c‘est mieux qu‘un fils musicien. » Enfin, c’était surtout que je cherchais désespérément le regard de celui-ci. Sauf que je n’avais jamais eu la chance d’avoir une quelconque importance à ses yeux. Néanmoins, il s’agissait du genre de détails qu’Harmony et que personne n’avait à savoir. C’était mon problème et ça le restait. Je m’apparentais à un petit garçon dans ses moments là, un petit garçon avec ses problèmes sous le bras et qui ne les montre pas. Comme si l’enfant cachait un secret qu’il voulait enfuir au plus profond de lui. C’était étrange de me comparer à un enfant alors que je n’avais jamais eu l’impression de l’être. Comme si j’avais gommé cette partie de ma vie sautant à pied joint dans les ennuis. Me reprenant j’enchaînais le thème des maths comme pour effacer ce vague moment de battement où j’étais perdu entre la lune et la terre.

Je n’étais vraiment pas du genre à dénigrer les personnes incapables de faire les choses comme moi. Il fallait des littéraires comme des matheux, il fallait des artistes comme des personnes dénué de talent dans un domaine artistique. En gros il fallait de tout pour faire un monde et dieu que le monde serait ennuyeux gouverné de matheux et de gens sans aucune once de créativité. C’était étrange, mais les maths étaient le contraire et la base de l’art. Comme deux choses qui s’annihilent sans moyen de les réanimer. L’art c’est l’imprévu, c’est la spontanéité, en math tout est codifié, régit par des lois vielle de centaines d’années. Pourtant en musique certaines bases aussi étaient codifié, comment faire pour écrire des partitions sans cela ? Le monde était un tout régit par des lois qu’on ne comprenait souvent pas, mais dans le fond on s’en fou bien. Souriant amusé par sa remarque je répliquais : « Il faut que je note, donc pour te faire fuir il suffit d‘utiliser des calculs compliqué... intéressant. » Buvant quasiment tout ce qu’il restait dans mon gobelet je le reposais sur la table en croisant les jambes avant de rajouter : « Je dois bien t’avouer que je préfère quand même la musique.... Puis j’imagine que ça correspond déjà plus à l’image qu’on se fait rapidement de moi. » Rêveur, songeur, marginal, en dehors du temps, un peu perdu. Ça collait plus à l’âme d’un artiste que d’un expert comptable, c’était certain;