Cupidfields... Un nom pour le moins moins peu banal pour une ville qui se voulait pourtant prometteuse. Du moins, je l'espérait. Toutefois, cette charmante petit ville n'avait rien à voir avec mon Londres natal. Poser un seul talon sur ce sol étrange avait réussit à me déboussoler et à me faire perdre pied. Observant les moindres recoins de ces rues inconnues, je me maudissait intérieurement d'être partie sur un simple coup de tête. Je n'avais pas d'argent, ni même de logement. Autrement dit, je n'avais rien prévu pour emménager comme il se doit et pour commencer une nouvelle vie en douceur. Mes doutes, mes choix, mes erreurs. Tout me revenait en tête. Douleur accablante. Je sentais quelques larmes envahir mes yeux, j'allais craquer, une fois de plus. M'éloignant dès lors des regards alentours, je me risquais à tourner dans une petite ruelle visiblement calme dans l'espoir de me retrouver seule avec moi-même. Lasse et fatiguée, je me laissais basculer jusqu'à ce que je me retrouve assise sur un vulgaire bord de trottoir. Ne sachant définitivement pas quoi faire, j'autorisais soudainement mes pleurs à s'échapper le long de mes joues écarlates.
« Vous allez bien mademoiselle ? » Mes yeux se relevèrent vers l'homme qui venait dès lors de s'asseoir à mes côtés. Bien sûr que non, je n'allais pas bien. Visiblement, il l'avait remarqué puisque qu'il me serra doucement dans ses bras. Cette attention particulière me touchait quelque peu, pourtant, je n'en oubliais pas que nous ne nous connaissions pas. Il avait beau se comporter avec moi comme un ami de longue date, je ne connaissais pas son nom, ni même ses intentions. Néanmoins, sans trop savoir pourquoi, je lui accordais bien vite ma confiance, lui confiant alors les moindres aspects de ma triste vie. Au point ou j'en étais, je n'avais, de toute façon, rien à perdre.
« ... et puis voilà, je me retrouve plantée là comme une idiote à la rue qui ne connait personne. Je suis venue pour m'en sortir mais je crois bien je m'enfonce encore plus. Je dois être maudite. » Je n'avais pourtant pas l'habitude de me confier de la sorte, préférant généralement garder mon passé pour moi. Mais les mots étaient sortis, franchissant avec une facilité déconcertante le barrière de mes lèvres restées si longtemps closes. Au fond, je dois dire que ça me faisait du bien. Je me sentais comme soulagée d'avoir déballé tous ces faits ayant pesé sur mon cœur durant de nombreuses années. Le regard tourné vers le sol, je pensais qu'il allait partir, désespéré par mon cas. Il n'en fit rien. Se redressant face à moi, il saisissait ma main, me forçant à me relever à mon tour.
« Écoutez, je sais qu'on ne se connait pas, aussi je ne vous forcerez à rien. Mais je ne peux définitivement pas vous laisser passer la nuit dehors. Vous savez, vous pouvez venir chez moi. Provisoirement, bien évidemment. Mais avouez que vous serez tout de même bien mieux sous un toit, au chaud. » Pour être honnête, je n'ai pas vraiment su quoi lui répondre sur le coup. Néanmoins, je savais qu'il avait raison. Passer la nuit dans les rues d'une ville m'étant inconnue n'était pas la meilleure des solution. Peut-être naïve, j'avais fini par accepter sa proposition. Une réponse certes hâtive et étonnante en vue de la situation. Pourtant, jamais je ne regretterais de l'avoir suivi ce jour-là... Jamais je ne regretterais d'avoir fait la connaissance de ce jeune homme répondant au doux prénom de Rueben.
Six ans plus tard.« Hady ! » Une lumière dérangeante venait m'interrompre dans mon sommeil suivi d'un éclat de voix brutal. Encore endormie, je me retournais dans mon lit, me cachant de la luminosité en rabattant la couette sur mon visage. Repos de courte durée. Rueben, mon cher colocataire, tira violemment sur cette confortable couette, visiblement déterminé à me réveiller.
« Non mais Rueben, déconnes pas... Je bosse pas aujourd'hui, tu le sais très bien », soufflais-je en prenant soin de lui balancer mon oreiller dans l'espoir de le faire sortir de ma chambre.
« Hady, lève-toi. Me force pas à te sortir moi-même du lit... Ma mère vient d’appeler. Elle arrive dans quelques minutes... Et je te rappelles bien évidemment qu'elle n'est pas au courant que je partage mon appartement, qui plus est avec une jeune femme. » Levant les yeux au ciel, je finissais une fois de plus par lui céder, toujours reconnaissante de son chaleureux accueil lors de mon arrivée à Cupidfields. Six ans après notre rencontre, je vivais toujours chez lui, n'ayant jamais trouvé le courage de me retrouver un logement. D'ailleurs, ma présence ne semblait pas vraiment le déranger... sauf quand sa mère devait lui rendre visite.
« J'ai le droit de prendre ma douche avant de m'enfuir quand même ? » A peine eut-il le temps d'acquiescer d'un signe de tête que je pénétrais dans la salle de bain, alors loin de me douter de la suite des événements. Alors que je me voulais bientôt prête et que je passais un dernier coup de peigne dans ma chevelure brune, un cognement intempestif se fit entendre. Quelqu'un frappait à la porte. A notre porte. Totalement agité, Rueben se dirigea droit vers moi, ne sachant visiblement pas quoi faire.
« Non. Non. Non. C'est pas vrai. C'est elle. Bon restons calmes... T'as qu'à sortir par la fenêtre... Elle ne te verras pas si tu sors par la fenêtre ? » Sourire aux lèvres, je le regardais s'affoler. Je n'avais jamais compris cette peur qu'il avait à l'idée que sa mère puisse me découvrir. Il était si nerveux.
« Bah oui, bien sûr. Dans ce cas tu appelles une ambulance d'avance. Je te rappelles qu'on vit au sixième Rueben... » De plus en plus anxieux, il observait les moindres recoins de notre petit logement à la recherche d'une idée qu'il trouva d'ailleurs assez rapidement.
« Bon d'accord... Écoutes, t'as qu'à rester dans la salle de bain, elle aura pas à y venir de toute façon. Allez, on fait comme ça. » Sans me laisser le temps de réagir, il déposa un léger baiser sur ma joue et referma la porte derrière lui, me laissant désespérément seule dans la pièce... Non, décidément, je ne le comprenait pas à ce sujet là.
Assise à terre, contre la porte, j'écoutais leurs diverses conversations. C'était là ma seule occupation. D'ailleurs, leurs dires n'étaient pas des plus passionnants mais une phrase prononcée par sa chère mère attira mon attention.
« Tu m'excuses, j'ai besoin d'aller aux toilettes. » Écarquillant les yeux, j'observais les uniques WC de l'appartement qui se trouvaient face à moi... Dans la salle de bain. Me relevant instinctivement, mon regard se porta soudain sur la poignée qui commençait déjà à s'abaisser.
Touché. Coulé. La tactique de Rueben s'était voulu perdante. Je n'avais plus aucun moyen de fuir. Mon seul et dernier réflexe fut de m'emparer d'une éponge et de faire mine de nettoyer la douche... Décidément, mes idées ne se voulaient pas beaucoup plus intelligentes que celles de mon colocataire. Le moment tant redouté par Rueben arrivait enfin. Le regard de sa mère croisa le mien au moment même où il pénétra dans la pièce, conscient de la situation. La gène se mêla alors aux questionnements, laissant place à plusieurs secondes de silence qui furent brisées par une mère visiblement amusée.
« Tu ne me présentes pas ton amie ? » Regardant Rueben, désolée, je prenais moi même la parole.
« Je m'appelle Hadley. Je suis... » Ne me laissant pas le temps de finir ma phrase, elle s'empara à nouveau de la parole.
« sa petite amie. Oui tu es sa petite amie n'est-ce pas ? J'en étais sûre. Je savais bien que tu me cachais quelque chose. » avouait-elle en se tournant vers son fils qui n'osait même pas la contredire...
Non, nous ne sommes pas ensembles. Nous ne sommes que de simples colocataires qui s'entendent à merveille. Des amis proches et confidents qui se connaissent par cœur. Rien de plus. Pourtant, depuis ce jour, nous nous comportons comme un véritable petit couple face à sa mère, ravie que son cher fils ait enfin trouvé l'amour. Rueben n'osera jamais la décevoir en lui annonçant que tout ceci n'est que mensonge et comédie. Toutefois, laissez-moi vous avouer une bonne chose. Bien que je ne sois en couple qu'aux yeux de sa mère, je dois dire que je m'attache de plus en en plus à lui, à ses mots, à ses bras rassurants. Je ne sais ce que l'avenir nous réserve, pourtant, j'aime à croire que cette anecdote peu anodine nous ouvre les yeux sur des sentiments, peut-être bien plus fort que nous le pensons aujourd'hui.